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Questions d'éthique et de déontologie

La profession d’orthopédagogue en Belgique ne possède pas de code de déontologie contrairement à l’Association des Orthopédagogues du Québec. Or, en tant que future orthopédagogue, je serai amenée à travailler plus tard avec des familles, des équipes pluridisciplinaires qui ne partageront pas nécessairement les mêmes valeurs que moi ou qui ne les hiérarchiseront pas de la même manière. Pourtant, le métier d’orthopédagogue est basé sur une collaboration entre tous les acteurs de la prise en charge des besoins spécifiques d’un enfant atteint d’un handicap quel qu’il soit.

 

S’il est important de laisser librement s’exprimer ces différents acteurs en fonction de leurs valeurs, n’est-il pas également essentiel, tout en respectant les valeurs des autres, d’être à l’écoute de nos propres valeurs ? D’être capable de les identifier, de les connaitre et de comprendre en quoi elles influencent notre manière d’agir.

 

Mon rôle ne sera pas de dicter et d’influencer des interventions, des choix en fonctions de mes propres valeurs mais d’apprendre dans ce contexte de pluralisme de valeurs à appliquer un raisonnement éthique.

Même si les orthopédagogues n’ont pas de code de déontologie, il existe deux principes d’actions qui peuvent être suivis  l’éthique des devoirs et l'éthique des  conséquences. L’éthique des devoirs, qu’on appelle également l’éthique déontologique, affirme que nous devons baser nos actions sur des principes ou devoirs moraux. Par exemple : aider autrui quand il en a besoin , ne pas mentir , ne pas faire souffrir , respecter ses promesses etc. Par contraste avec l’éthique des devoirs, l’éthique des conséquences, ou « conséquentialisme », se préoccupe uniquement des conséquences de nos actions, pas de leurs intentions. Nous devons choisir les actes qui auront les meilleures conséquences, c’est-à-dire qui contribueront le plus à l’amélioration du monde. De ce point de vue, mentir est justifié dans les cas où cela permet de sauver des vies ou, plus simplement, d’éviter un conflit. En fonction d'une situation chaque personne peut réagir avec une éthique des devoirs ou plutôt avec une éthique des conséquences. C'est en fonction de ces principes d'actions qu'un contexte de pluralisme de valeurs va naitre. 

 

L’année passée, lors de mon dernier stage dans le cadre de mon régendat en Sciences-Humaines, j’ai été confrontée à une situation qui illustre parfaitement un cas de confrontation de valeurs entrainant dès lors un enjeu éthique.

 

Lors d’un conseil de classe d’une classe de deuxième secondaire, la  titulaire raconte une situation perturbante qu’elle vit avec un élève de sa classe : “Depuis le mois de septembre, Matthieu (le nom de l’enfant a été changé par respect de confidentialité), un enfant atteint d’un trouble de l’attention avec hyperactivité prend de la rilatine. Je sais qu’il prend une dose le matin. Par rapport à l’année passée, c’est vrai qu’il est plus calme et qu’il dérange moins ses camarades de classe mais il est complétement amorphe, nerveux et il a perdu sa joie de vivre. Je pense, suite à mes recherches sur internet que ce sont des effets secondaires de la Rilatine. De plus ce médicament est une amphétamine à savoir  un stupéfiant (drogue) composé de molécules proches de la cocaïne. Il est donc dangereux pour les enfants d’en prendre. J’ai pu lire qu’il existait d’autres solutions alternatives à la Rilatlne pour aider ces enfants. “

 

Suite à ces explications, un grand débat est né au sein de ce conseil de classe car la titulaire était contre la Rilatine. Laisser Matthieu dans cet état-là remettait en cause son éthique personnelle et professionnelle. Mais tous les professeurs ne partageaient pas son point de vue car pour eux, la Ritaline est un médicament efficace et d’aide à ces enfants.  A la fin du conseil de classe chacun est resté sur sa position. Il en a résulté un débat sans fin et “sans issue” pour Matthieu.

Je me suis retrouvée au milieu de ce débat n’osant pas, en tant que stagiaire, donner mon point de vue. Cette situation m’a amené à me poser les questions suivantes soulevant un enjeu éthique:

  • La Rilatine est-elle une drogue légale ou un médicament miraculeux pour des enfants atteint d’un trouble de l’attention avec hyperactivité ?

 

  • En tant qu’orthopédagogue, puis-je aller à l’encontre d’un avis partagé par toute une équipe pluridisciplinaire ou dans l’exemple ci-dessus d’un conseil de classe?

 

  • En tant qu’orthopédagogue puis-je acquiescer un acte qui va à l’encontre de mes convictions profondes ?

Voici un résumé de mes recherches sur la question de la Rilatine chez l’enfant porteur d’un trouble de l’attention avec hyperactivité :

 

1. L’enfant est atteint de Troubles de Déficit de l’Attention/Hyperactivité (ci-après TDA/H) quand il présente des symptômes d’inattention ou d’agitation/impulsivité avec constance, fréquence et intensité. Ces symptômes doivent persister depuis six mois au moins et être plus fréquents et plus sévères que ce que l’on observe habituellement chez des enfants du même âge. Les symptômes du TDA/H doivent “s’être manifestés dans plus d’un milieu (par exemple à l’école et à la maison) et doivent affecter les apprentissages scolaires ou le fonctionnement social de l’enfant.

2.  Un nombre important d’enfants sont, à tort, trop vite “jugés” (et non diagnostiqués) TDA/H car leurs comportements en présentent toutes les caractéristiques. Dès lors, avant de parler de trouble de l’attention chez un enfant avec ou sans hyperactivité, il est important que celui-ci ait été correctement diagnostiqué. Le diagnostic est généralement posé par un neuropsychologue sur base d’un nombre important de tests.

3. Avis donné par Madame Laura Bertleff , neuropsychologue, lors de sa conférence “DYS-TDA/H : mieux les comprendre et les aider “ le 11 octobre passé.  La Rilatine est un médicament qui est un psychostimulant du cerveau permettant à l’information (quand elle passe d’un neurone à l’autre) de rester plus longtemps pour passer vers le neurone suivant. Pour les enfants atteints d’un TDA/H, une hypothèse serait que le neurone qui transmet l’information à un autre neurone, la transmettrait  trop vite entraînant comme conséquence une mauvaise transmission de l’information.  Grâce au médicament, l’information passerait mieux au niveaux des zones de concentrations par exemple. Le médicament va agir 4h, 6h mais ne soigne rien. Donc dès que l’enfant ne prend plus le médicament, les symptômes du TDA/H reviennent . Dans les milieux défavorisés, on prescrit plus facilement la Rilatine car les parents n’ont pas les moyens de payer pour faire passer des tests ou ils font les tests mais n’ont pas de moyens pour le suivi.

4. En Belgique, depuis une dizaine d’années, on assiste à une augmentation significative du nombre de prescriptions (plus de 30%) de Rilatine. Si la Rilatine peut faire partie d’un traitement destiné aux enfants atteints deTDA/H, la problématique actuelle est qu’il semblerait que ce médicament soit de plus en plus recommandé avant d’avoir essayé d’autres traitements non médicamenteux (thérapie) ou même sans que ce trouble n’ait été objectivement et soigneusement diagnostiqué et ce dans le but de « cadrer » un enfant et/ou d’améliorer ses performances scolaires. En 2011, le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies s’était d’ailleurs déclaré préoccupé par «la progression rapide sur une courte période de la prescription de stimulants psychiques à des enfants diagnostiqués comme souffrant de troubles de déficit de l’attention avec hyperactivité » et a recommandé à la Belgique de prendre des mesures pour mettre un terme à cette pratique.»

5. La plupart des médecins estiment que la Rilatine peut avoir une réelle utilité pour l’enfant objectivement diagnostiqué TDA/H et dont le trouble résulte donc d’une immaturité cérébrale. En effet, bien que ce psychostimulant ait des effets indésirables et soit au centre de dérives, lorsque l'indication est judicieuse et fait partie d’un traitement global la plupart des médecins s’entendent pour dire qu’il est d’une réelle utilité.

6. Les enfants deviennent hyperactifs du fait de la société, de leur éducation, des exigences de rendement, de performance ou encore du fait du découragement scolaire. Ils se voient prescrire de la Rilatine alors que d’autres mesures seraient plus indiquées pour eux. Ensuite, il y a les situations d’enfants souffrant de TDA/H qui en prennent sans avoir essayé de suivre une thérapie. Et enfin, le cas des enfants qui ne souffrent pas de TDA/H et pour qui la Rilatine est juste un moyen d’améliorer les résultats ou le comportement.

7. À court terme, ce médicament peut provoquer des maux de tête, des troubles du sommeil, une perte d’appétit et même un déficit de croissance. À long terme, ses effets ne sont pas encore clairement identifiés. De nombreux chercheurs se penchent sur le sujet. L’Université de Californie à Los Angeles a démontré que les enfants atteints de TDA avec ou sans hyperactivité traités par Rilatine ou Adderall étaient davantage accros à la cigarette, à l’alcool ou aux drogues plus tard. Ces chercheurs ont creusé et analysé les résultats de 15 autres études de longue durée faites aux États-Unis, au Canada et en Allemagne. Et les résultats de ces analyses publiés dans le JAMA Psychiatry du 29 mai contredisent la précédente littérature. « Nous avons constaté que les enfants prenant des médicaments ne présentaient pas plus ou moins de risques de devenir alcooliques ou dépendants de drogues parce qu’ils étaient traités avec ces stimulants », annonce Kathryn Humphreys, auteur de cette recherche. Cette psychologue de l’Université de Californie précise : « Nous n’avons trouvé aucun lien entre l’utilisation de médicaments comme la Rilatine et de futurs abus d’alcool, de tabac, de marijuana ou de cocaïne ». Cette dernière étude se base sur le suivi d’environ 2 500 enfants souffrant du TDA et suivis de leurs 8 ans jusqu’à leur 20e anniversaire.

Autour de ce débat sur la Ritaline, il faut être conscient et prendre en compte l’enjeu des différentes valeurs en confrontation :

 

Dans notre société, il existe actuellement deux modèles d'enseignement partageant des valeurs différentes. Soit l’enfant se situe dans un modèle plus traditionnel où l’enseignement et la pédagogie sont centrés autour des valeurs de « performance », d'«excellence », etc. Soit l’enfant se trouve dans un modèle d’enseignement visant l’épanouissement de l’enfant en prônant sa personnalité, etc. Dans le modèle traditionnel, les professeurs auront une tendance à influencer ou recommander  une prescription pour la Rilatine pour améliorer le comportement de l’enfant afin par exemple qu’il ne perturbe pas les apprentissages des autres élèves.

 

Dans le cadre du conseil de classe auquel j’ai assisté, chaque intervenant a agi  en fonction de ses normes éthiques et morales : les enseignants ont plutôt réagi avec un point de vue plus traditionnel de l’enseignement : « Il faut donner de la Rilatine à cet enfant pour faciliter mon enseignement, pour m’aider à mieux gérer ma classe » ou « Il faut donner de la Rilatine à cet enfant pour que les autres enfants de la classe ne soient plus perturbés ».

Tandis que la titulaire de la classe, elle a émis son point de vue, une éthique  avec un regard de bienveillance suite aux comportements de Matthieu :« il faut arrêter cette Ritaline qui détruit mon matthieu, d’autres solutions doivent être mises en place comme les thérapies ».

 

Dans mon cas, l’éthique des parents n’est pas rentrée en compte mais en tant que future orthopédagogue, il sera primordial de la prendre en compte car leurs valeurs pourraient aller à l'encontre de celles des professeurs ou de la titulaire.

 

De plus, la titulaire pensait plus avec une éthique des conséquences. Pour elle, la Rilatine a des conséquences catastrophiques sur le bien-être de Matthieu. Elle regarde que les conséquences or peut-être que Matthieu a réellement  besoin de cette Rilatine pour l'aider à se concentrer ? Les autres professeurs sont pour moi plus dans une éthique de devoir. Pour eux, leur devoir est de veiller à un climat de classe calme où leurs élèves apprennent sans être dérangés. Dès lors, pour eux, Matthieu doit prendre cette Rilatine afin qu'il soit calme et qu'il ne perturbe pas les autres élèves de sa classe . C'est une question de principe pour eux. 

En tant que future orthopédagogue, je me retrouverai face à des situations de confrontation de valeurs entraînant un enjeu éthique.

Il est important dans cet enjeu de toujours réfléchir en fonction du bien-être et des besoins de l’enfant. Dès lors, il faut dans un premier temps veiller à une ouverture d'esprit et encourager un dialogue. Nous avons tous et toutes une éthique différente. Il faut donc à tout pris éviter de tomber dans le jugement et le non-respect des valeurs d’autrui.

Par la suite, il est important de faire la part des choses, de peser le pour et le contre pour répondre aux besoins spécifiques (bienveillance)  de l’enfant.

 

Dans le cas du débat sur la Rilatine, suite à mes recherches et mon raisonnement éthique, j'acquiescerais ce médicament pour un enfant si et seulement si je suis confrontée à un enfant réellement diagnostiqué TDA/H, si d’autres solutions comme la thérapie, des adaptations scolaires ont été mises en place sans résultat, si la Rilatine permet le bien-être physique, psychologique et sociale de l’enfant et si une communication a été établie entre les parents et toute l’équipe pluridisciplinaire entourant l’enfant concerné.

Sources: 

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